LE KAVE SE REBIFFE

Bienvenue dans l'antre rebiffeuse branchée sur le courant alternatif de la KAVE.

Ce blog, à vocation citoyenne et collective, se veut participatif et coopératif en s'attelant au grand défrichage de ce monde !

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mardi 22 novembre 2016

L'ART DE N'AVOIR AUCUN TALENT


En raison d'un mouvement de grève sur le tas des dossiers Images de la Kave afin de protester contre le taux de rémunération et la maltraitance dont sont victimes les images au comptoir, la rédaction ne sera donc pas en mesure de vous présenter d'illustrations sur cet article durant le temps des négociations avec le syndicat d'images du zinc.
Veuillez nous excuser de la gêne gênante occasionnée à l'occasion.
"Réflexion faite, je ne dis pas que mon travail soit bien, mais c'est ce que je peux faire de moins mauvais. Tout le reste, relations avec les gens, est très secondaire, parce que je n'ai pas de talent pour ça. A cela je n'y peux rien." Lettre à Théo et Jo 21 mai 1890 - Vincent van Gogh

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L'art de ne pas en avoir.


Dans ce monde des Humains il est une particularité qui est appelée dans la langue de Molière le Talent. 
Ce fameux talent, tout le monde peut en posséder un dans différents domaines de compétences, mais surtout il est souvent utilisé à mauvais escient pour être toujours au dessus des autres.
En effet, l'Humain a cette capacité à toujours vouloir se mesurer à l'autre, être un gagnant, être le plus fort, le plus beau, le plus riche, le plus intellectuel, le plus intelligent, le plus parfait, le plus doué, le plus dominant. 

Nous vivons dans une société où les valeurs les plus reconnues ne sont pas la solidarité, l'équité ou l'empathie, mais bien la compétitivité, l'élitisme, l'individualisme, l'enrichissement matériel,  la capacité à avoir toujours plus que les autres, le pouvoir, le don de surpasser la concurrence quoi qu'il en coûte, ou simplement prouver que son talent montre aux autres sa supériorité afin d'être au dessus de la masse.

Un publicitaire que je ne nommerais pas nous avait gratifié il y a quelques années d'une phrase mémorable nous expliquant que si l'on n'avait pas une Rolex à cinquante ans, c'est que l'on avait raté sa vie, et au fond cela n'est pas dénué de vérité dans le sens où cela est symptomatique de la société de surconsommation et de surcompétition dans laquelle nous vivons.

Etre un lambda anonyme ordinaire sans talent particulier n'est pas chose aisée dans ce monde féroce ne visant qu'à écraser l'autre pour faire admettre sa toute puissance dans tel ou tel domaine. Etre libre et imparfait n'est pas chose simple dans un monde où l'on vous demande d'être sans arrêt efficace, efficient, où le droit à l'erreur n'est accepté en général qu'une seule et unique fois, où la quête de la liberté semble utopiste pour la majorité des gens.
La plupart des gens traverse leur vie en faisant comme ils peuvent avec ce qu'ils ont, selon leur endroit hasardeux de naissance, et malgré l'absence de ce maudit talent, il faut bien avancer et vivre en se contentant de surnager au milieu de la mare aux requins qui n'aspirent qu'à vous dévorer tout crû dès que l'occasion se présente.

Je fais partie de cette catégorie, je n'ai aucun talent particulier ou reconnu, je ne suis pas riche, je n'exerce aucun pouvoir hiérarchique sur autrui, je ne dispose d'aucun grade, je ne passe pas à la TV, la radio ou les journaux, je n'ai pas de qualités d'artiste, de présentateur tv, de sportif, de peintre, de chanteur, d'écrivain, de professeur, de musicien, de scientifique, de politicien. 
Je rejoins en ce sens la majeure partie d'entre nous, sans que cela soit un crime ou une honte, c'est juste comme ça, on nait avec différentes qualités et défauts, et j'ai toujours été juste quelqu'un de moyen, voire médiocre (en particulier à l'école que j'ai quitté très tôt) et je n'ai jamais désiré m'élever dans le monde professionnel étant donné que ma vision du monde du travail est souvent considérée comme une forme d'hérésie ou même de paresse.

Etre un lambda, on l'accepte petit à petit avec l'âge, jeune homme, je rêvais de devenir un sportif de haut niveau pour voyager et avant tout pour jouer. 
Jouer tout le temps, jouer sans arrêt, tel était mon plaisir, mon petit bonheur. 
Rien ne me faisait plus plaisir enfant, adolescent et adulte que de jouer. 
Jouer au ballon, à des jeux de tout ordre, mais jouer, car j'y trouvais un plaisir infini, et cela me semblait le seul véritable intérêt de la vie.
Puis l'on est rattrapé par le besoin impératif de la vie moderne, et l'on doit intégrer le moule de la société, rejoindre la norme, se mettre à travailler car le principe essentiel de notre organisation humaine c'est de "gagner" sa vie.
Pourtant, je n'ai jamais voulu passer mon temps  à gagner ma vie, car j'ai toujours eu la sensation qu'en faisant cela, je passais plutôt mon temps à la perdre, et encore maintenant je considère que chaque journée passée à travailler me prive de l'essence même de la vie d'humain, l'argent étant l'horizon indépassable de la condition humaine.

Le principe même de l'argent m'a toujours paru étrange, comment un simple bout de papier pouvait représenter autant d'importance et conditionner autant une vie d'homme, alors même que l'épanouissement ne me semblait important qu'à travers les relations et les interactions qu'on pouvait avoir avec les autres, et non pas au rapport qu'on pouvait entretenir avec le dieu Dollar (ou Euro c'est comme vous préférez).

Quand j'ai réalisé au début de ma vie d'adulte que je n'avais aucun talent particulier et que je rejoindrais simplement la masse des gens anonymes, ce fût une forme de choc, car quand on est jeune, on rêve de gloire, de starification puisque l'on est élevé dans une société qui nous incite à être toujours au dessus des autres, à être toujours plus possédant, toujours plus puissant, toujours plus cupide, toujours plus avide de réussite.
Et puis j'ai vieilli, j'ai accepté ma condition d'anonyme ordinaire, et je me suis fait à l'idée qu'il en serait ainsi et que je devais me résoudre au fait que je ne possédais aucun talent. 
Dont acte.
Etre sans talent n'est pas une tare, ni une honte, ni un échec, c'est juste un état de fait et ce n'est pas grave en soi, il y a tant de choses mille fois plus dramatiques en ce monde. 

Mais le problème, c'est que la société tend à dire en permanence que la réussite dans la vie n'est liée justement qu'au talent (et au travail qui en découle) et que l'oisiveté et la rêverie ne sont que de mauvaises conseillères.
La pression sur les épaules de nos enfants comme de nous-mêmes est permanente, que ce soit à l'école, au travail ou dans la vie sociale. 
Finalement, les retraités ne connaissent pas leur chance d'être libérer de ce carcan destructeur de l'obligation de résultats, de l'obéissance à sa hiérarchie, du fait de ne pas pouvoir dire tout haut ce que l'on pense pour sauvegarder son boulot, ses acquis et ainsi éviter de se voir passer pour un emmerdeur ou un marginal.
Intégrer cette société passe par beaucoup de sacrifices et d'acceptations plus ou moins forcées, surtout quand on est en désaccord avec les valeurs proposées par le modèle de société qui nous est imposé. 
La capacité d'adaptation est alors la clé qui vous ouvre ou pas les portes de ce monde. J'ai su m'adapter bon an, mal an à la vie moderne, mais je ne l'ai jamais accepté. 
Au fond de moi, une révolte permanente a toujours grondé, une indignation enfouie m'a sans cesse rappelé que je me sentais à l'écart et que jusqu'au bout de ma vie, je n'arriverais jamais à comprendre comment ce monde tourne.

Tant pis, j'ai fait avec et j'ai traversé dorénavant plus de la moitié de ma vie en intégrant le fait que je ne serais jamais qu'un Homme parmi tant d'autres et que je ne m'élèverais jamais au dessus de quiconque. Et mon cortex m'a dit: 
"C'est pas grave, l'essentiel, c'est que tu sois en accord avec toi-même". 
Le problème, c'est qu'on est plusieurs dans ma tête, et parfois, j'aspire à mieux, à plus alors que je sais que la solution n'est pas là. 

L'âge m'a fait comprendre que je voulais plutôt tendre vers une sobriété heureuse, que j'avais plutôt envie de vivre dans un mode d'équité où je ne souffrirais pas de voir les autres dans la détresse sociale comme cela est le cas un peu partout dans le monde et dans mon propre pays.
Malgré mon absence de talent, peut-être que j'avais au moins la capacité à respecter les autres, à m'émouvoir du sort de chacun et tenter de réenchanter à ma manière un monde dans lequel je ne comprends même pas ma propre présence. 
Cela doit être cela le sens de la vie, qui sait?

Après tout, je suis un privilégié, j'ai un toit, des fringues, de la nourriture dans mon frigo, un travail (car je n'ai pas le choix), et malgré une vie ordinaire, j'ai plus de chances que 75% de la population mondiale, et cela suffit à me donner le sourire chaque matin que la vie m'offre à nouveau depuis presque un demi-siècle.

Ne pas avoir de talent est un art en soi, car cela signifie que vous passez votre vie, non pas en cherchant à toujours être supérieur aux autres, mais bien à vivre sans causer de tort à autrui et à donner juste un peu de bonheur à ceux qui vous entourent. 
Et en bonus, chercher à ne pas faire de mal aux autres en étant un citoyen à l'attitude correcte et juste sans vouloir obligatoirement être celui qui se veut toujours le meilleur.

C'est aussi ses raisons qui ont fait que je n'ai jamais réussi à me résoudre à m'"encarter", à m'impliquer dans un parti politique car je ne me suis jamais reconnu dans aucun mouvement politicien, et alors même que je suis un fervent défenseur de l'environnement, je n'ai même jamais pu me reconnaitre au sein d'un parti comme les verts, car j'ai toujours considéré que l'écologie n'était et ne serait jamais un parti politique et que les luttes de pouvoir et les divisions que cela engendre ne me correspondraient jamais.

Du coup, après avoir écrit dans différents blogs ou sites, je me suis décidé en 2015 à ouvrir le comptoir de la Kave, non pas pour assouvir je ne sais quelle ambition personnelle, mais bien pour permettre aux sans-voix, aux 99% de se conjuguer au collectif participatif et faire entendre des avis qu'on n'entend jamais, qu'on n'écoute jamais, qu'on ne lit jamais. 
D'ailleurs, le fait d'écrire un blog est déjà un acte compliqué en soi, car nos journalistes professionnels considèrent que les bloggers sont des ratés du journalisme ou des branquignols de l'information et sont incapables de produire un travail de qualité puisqu'eux seuls détiennent la vérité et les sources. Alors on condamne les bloggers à une forme de clandestinité numérique.

Quelques mois en arrière, je pensais d'ailleurs que la Kave resterait un endroit sombre et inconnu où le seul plaisir d'écrire plus ou moins bien avec mes limites se suffirait à lui-même. Mais c'était sans compter sur l'implication et l'engagement de certains kavistes qui ont désiré faire de cet endroit un lieu de défrichage et de débat pour que chacun puisse y mettre un peu de soi, et cela me sied très bien. 

Je vous remercie tous les kavistes pour cela et je vous trouve formidable d'implication et d'engagement. 
A chaque kaviste qui a fait l'effort d'écrire un mot au comptoir, qui a envoyé un mail au zinc, qui a donné des liens, des photos, des vidéos, qui s'est accoudé à la Kave, je lui dis Merci et reviens encore et toujours, ce sera ma tournée perpétuelle.
C'est grâce à vous que le comptoir est vivant et qu'il fourmille d'émotions, et ça l'argent n'y fera jamais rien, ça n'a pas de prix.

Finalement, les seuls talents qui comptent dans la vie, c'est l'amour et l'amitié.
Dans nos tombes, peu importe qui nous avons été, peu importe ce que nous avons possédé, peu importe qui nous avons dominé, nous n'emporterons jamais, ni nos biens, ni notre argent, ni nos réalisations, nous n'emporterons que l'amour que nous avons donné aux autres et qu'ils nous ont donné durant notre passage sur cette Terre.

Finalement, le seul et unique talent, c'est être et pas Avoir, c'est bien d'aimer les siens, sa famille, ses amis et faire preuve de compassion et d'empathie envers ce peuple étrange qu'est la race humaine.
Malgré tous ces défauts et toute l'horreur quotidienne que l'Humain distille sur cette pauvre planète martyrisée par notre comportement destructeur, certains continueront à tenter de venir au secours des autres, à faire preuve d'entraide, de solidarité et de véritable humanité.
Nous sommes humains après tout, et le talent n'est que peu de choses au regard de sentiments comme l'amour, l'amitié, les émotions, ou l'empathie.

L'art de n'avoir aucun talent, ne serait-ce pas finalement l'un des arts les plus difficiles à pratiquer?
Vous avez quatre heures.

HEEL KRIX le 22 novembre de l'an de grâce 2016
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"La morale actuelle nous fait croire que l’important c’est de l’emporter sur les autres, de lutter, de gagner. Nous sommes dans une société de compétition, mais un gagnant est un fabricant de perdants. Il faut rebâtir une société humaine où la compétition sera éliminée. Je n’ai pas à être plus fort que l’autre, je dois être plus fort que moi grâce à l’autre." Albert Jacquard

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Complément d'information de la Kave: 
En raison d'un mail très gentil reçu il y a quelques minutes d'un kaviste, je me dois d'éclaircir un détail pour ce lecteur Kavovore et pour chacun,  je cite juste la phrase du mail qui m'a interpellé au point de revenir sur ce post:

"Cher Heel Krix, pourquoi donc n'écrivez-vous pas sous votre véritable nom? 
Il est étrange que vous ne cherchiez pas à vous faire connaitre sous votre vraie identité, car votre message mériterait d'être entendu et diffusé partout."

Cher lecteur, je te remercie des mots sympathiques qui me vont droit au coeur et je comprends tout à fait ton interrogation qui est légitime. 
Si je n'écris pas sous mon véritable patronyme, c'est pour deux raisons assez simples. 
D'abord et avant tout, en raison de mon activité professionnelle, je dois rester discret pour ne pas m'attirer les foudres de ma hiérarchie, étant donné que je donne régulièrement mon avis sur des thèmes politiques ou de société, et que cela est plutôt mal vu dans le milieu dans lequel je travaille. 
Ensuite, parce que je dénonce régulièrement ici les affres des merdias et du système médiatique et que je ne veux à aucun moment entrer dans leur système de notoriété que je trouve honteux et catastrophique pour ceux qui se retrouvent happés dans ce maelstrom de starification que les sociétés de communication ont enfanté. 
J'utilise un pseudo car je tiens à ma vie privée et j'aspire à une forme de tranquillité pour préserver ma famille et mon intégrité. 
Et après tout, que je me dénomme Heel Krix, Dupont Lajoie ou autre ne change rien au fait qu'on me lise ou pas.
Quand j'agis hors du circuit numérique de l'internet, je le fais en mon véritable nom, et là on peut dire que je suis à visage découvert. 
Internet et la vie réelle sont deux choses imbriquées, mais différentes. 
Le Blog me permet de mettre en mots mes idées et mes ressentis, la vie de tous les jours me permet d'appliquer ceux-ci. 
Et comme je dis souvent, l'important n'est pas le messager, mais bien le message.
Voilà, j'espère t'avoir répondu de manière cohérente et je te remercie de ce (long) mail que tu as pris la peine de m'envoyer.
Bien à toi, 
Heel Krix.