"Le vagabond est l’une des composantes du système. Si la masse des chômeurs permet de maintenir une main-d’œuvre sous-payée, au bas de l’échelle sociale, le vagabond marque la limite entre le chômeur et le vide. L’armée des travailleurs en excédent permet au système de fonctionner avec des salaires très bas." Le peuple d'en bas, Jack London, 1903 (...)
On estime à environ deux millions le nombre de travailleurs pauvres dans notre pays.
Un chiffre qui est sans aucun doute en dessous de la réalité, car comme souvent, les chiffres ne prennent en compte que la France métropolitaine, oubliant régulièrement les Ultra-marins dans ce décompte morbide.
On ne parlera même pas ici de ces travailleurs là à l'échelle mondiale car nous serions victimes de tels vertiges que nous risquerions de finir notre journée au fond des toilettes à vomir abondamment. Contentons-nous de notre beau pays la France, oui la France Mesdames et Messieurs, le pays des lumières où quelques-uns ont coupé le jus il y a fort fort longtemps.
Force est de constater que depuis une vingtaine d'années, une nouvelle classe sociale a vu le jour, s'installant petit à petit dans le paysage socio-professionnel, créant ainsi une catégorie de gens à mi-chemin entre la pauvreté et le minimum vital de survie.
Le système néo-libéral et son cortège d'injustices sociales a donc trouvé un nouveau moyen pour asservir un peu plus le travailleur lambda en lui laissant à peine de quoi vivre, tout en profitant allègrement de sa force de travail au quotidien.
C'est là toute la puissance de notre société moderne, elle a organisé, planifié, appliqué un plan machiavélique afin de faire travailler le plus grand nombre possible de gens pour des salaires dérisoires, permettant à peine de survivre, tout en donnant l'illusion à cette masse d'actifs qu'ils étaient insérés correctement dans son système puisque finalement:
"De quoi vous plaignez-vous, vous avez du boulot!"
La société française actuelle est donc caractérisée par une nouvelle classe sociale que l'on définit par l'appellation "travailleurs pauvres".
Des millions de gens se levant chaque matin pour aller envahir les réseaux routiers, les transports en commun et ne sachant pas s'ils réussiront à boucler leur fin de mois à compter du...10 de ce même mois.
Croulant sous le poids des factures, des impôts, de l'entretien de sa voiture, de ses assurances, de l'alimentation toujours plus chère, de son loyer, de ses crédits, le travailleur pauvre donne son temps de vie à un employeur, une entreprise, un état, qui en retour ne lui permet même pas de vivre décemment du fruit de ses efforts au quotidien.
Et là, c'est le drame.
Le pauvre travailleur n'a plus les moyens de se soigner, d'aller au dentiste, de changer de lunettes, de réparer sa voiture, de payer son abonnement de transport, d'offrir un peu de bonheur à ses enfants, de prendre soin de ses anciens, pris qu'il est à la gorge par la nécessité absolue de réussir à joindre les deux bouts.
En effet, on nous a éduqué dans l'idée que la "valeur travail" était l'ultime réussite de l'être humain, que travailler c'était le gage de la santé, de l'insertion sociale, de l'ascension au sein de la communauté, de la reconnaissance auprès des siens et que surtout, surtout, c'était gage d'une vie honnête, intègre où l'on vivrait correctement grâce à un salaire permettant l'accès à une dignité bien méritée en récompense du travail fourni.
Or ce n'est plus le cas.
On élève nos propres enfants dans l'idée qu'il faut qu'ils travaillent à l'école suffisamment bien pour un jour intégrer ce monde de l'emploi en ayant un bon boulot qui les paiera en retour de leurs efforts et de leurs compétences. Bien sûr, tout un chacun ne sera pas avocat, médecin ou entrepreneur, les métiers sont si divers que chaque personne, selon ses capacités, intégrera telle ou telle corporation. La masse des gens travaille à des boulots souvent durs, pénibles où la hiérarchie des petits chefs est déjà suffisamment difficile à gérer tout au long de sa semaine.
Mais le simple fait d'avoir un travail est censé vous permettre d'éviter de rejoindre la liste exponentielle du chômage et ainsi de passer votre vie de labeur dans une certaine forme de sécurité.
Or ce n'est plus le cas.
Dans ce 21ème siècle, on peut ainsi bosser à temps plein, se lever à six heures du mat', faire deux heures de transports par jour, et ne pas avoir la certitude qu'on bouclera la fin de son mois. Aujourd'hui, en France, à l'heure où ces lignes sont frappés sur le clavier, des gens iront travailler pour une journée qui leur coûtera plus chère qu'elle ne leur rapportera.
Je le sais, je l'ai vécu, pas plus tard...qu'hier.
Le capitalisme est une idéologie formidable.
Elle nous a fait avaler que le travail était l'horizon indépassable de nos vies. Grâce à lui, nous allions rentrer dans une ère de prospérité et d'éradication de la misère. Chacun aurait sa chance et pourrait vivre dignement car l'argent permettrait à tous de bénéficier d'une vie décente, d'avoir un logement, de manger à sa faim, d'avoir une famille épanouie et de voir arriver la fin du mois sans inquiétude particulière.
Or ce n'est plus le cas.
Nous vivons dans un monde où des gens travaillent chaque putain de jour, alors qu'ils n'ont même pas un toit où s'abriter en rentrant le soir venu de leur activité esclavagisante rémunérée.
Un monde où des travailleurs ne sont pas sûrs de manger à leur faim durant la semaine.
Un monde où les employés vont rejoindre la cohorte des pauvres dans les soupes populaires, les restos du coeur, alors que cela devrait être eux les bénévoles pour aider les petites gens.
Un monde où le moindre pépin, le moindre incident de la vie prend des proportions monstrueuses sur le déroulement de son quotidien, une maladie, une blessure, une voiture en panne, un train trop en retard, et paf le chien, la journée est foutue, perdue, alors qu'elle ne faisait déjà pas gagner grand chose au départ.
Un monde où les gens, les simples employés doivent subir la pression de leur hiérarchie, la pression d'une productivité toujours plus grande, d'une efficacité toujours plus importante, et tout ça pour quoi?
Un salaire de misère.
A la base, on nous a bercé dans l'illusion qu'avoir un emploi était l'assurance de vivre sereinement tout en ayant la possibilité d'évoluer et de grandir au sein d'une société reconnaissante de notre fameuse force de travail.
Or ce n'est plus le cas.
Là, nous arrivons dans le paragraphe où nous enfonçons des portes de saloon déjà grandes ouvertes. Beaucoup de gens ont la fâcheuse tendance de penser que les fonctionnaires sont à l'abri de ce genre de mésaventure, mais rien n'est plus faux.
Les gens travaillant au service de l'état sont majoritairement des petits employés et vivent aussi avec des salaires frisant l'indécence.
Dans ce chiffre des travailleurs pauvres, les fonctionnaires en font également partie, et plus qu'on ne pourrait le penser.
Nombre d'entre eux peinent à s'en sortir, alors qu'ils travaillent chaque jour au service du public. Pourtant, ce sont eux qui font tourner la grosse machine étatique, et en retour, leurs salaires ne sont même pas indexés sur le coût réel de la vie.
Attention, nous parlons bien des agents de l'état travaillant sur les boulots les plus ingrats, les plus difficiles.
A l'image d'une caissière, d'un routier, d'un maçon, ou que sais-je encore, le simple agent des services techniques, d'un accueil de guichet, d'un espace vert, de la voirie, n'est pas mieux loti que les gens du privé, ayant juste comme lot de consolation sa célèbre sécurité d'emploi, qui ne garantit en aucun cas une vie à un meilleur niveau de salaire.
Demain, si les politiciens disparaissaient du paysage, le pays continuerait à tourner grâce à ces gens-là, grâce à toutes ses petites mains qui bossent au service de la population malgré les quolibets incessants sur ce statut "protégé" du fonctionnaire.
L'exemple le plus flagrant a été montré en Belgique, quand l'état s'est effondré, et que le gouvernement n'existait plus en tant que tel, ce sont les fonctionnaires qui ont fait tourner le pays. Bon gré, mal gré, ils s'en sont pas mal sortis les Belges, le plat pays ne s'est pas précipité dans l'abyme pour autant.
Mais je m'égare, laissons-là les fonctionnaires, et revenons à nos travailleurs pauvres, qui pendant ce temps, vivent au jour le jour la misère salariale.
Les gouvernements français successifs ont tenté de nous faire croire à chaque prise de pouvoir qu'ils héritaient d'une situation terrible, que c'était la crise, que les salaires ne pouvaient plus augmenter, que nous étions en faillite et qu'il fallait donc se serrer la ceinture et à la fois baisser son froc, exercice difficile s'il en est...
Dans le même temps, les travailleurs voyaient les riches devenir toujours plus riches, les nantis posséder toujours plus, les politiciens profiter de l'argent public sous les ors des institutions en toute légalité, les grands patrons avoir toujours plus de pouvoir et d'avantages, les multinationales s'engraisser sur le dos de leurs employés bon marché et corvéables à souhait.
C'est durant la montée de ces inégalités de plus en plus flagrantes que la catégorie sociale du travailleur pauvre a commencé à apparaître en France. Auparavant, on pouvait avoir un petit boulot, mais à partir du moment où l'on avait un emploi, on était tout de même assuré de vivre dans une certaine décence, demandez à la génération du baby boom, ils en sont les témoins vivants.
Or ce n'est plus le cas.
Le travailleur pauvre n'est non seulement pas assuré de vivre dans la décence et la dignité, mais il n'a en plus aucune garantie sur ce que sera sa retraite après avoir donné 40, 45, ou 50 ans de sa vie au monde du travail.
Demandez aux anciens vivant déjà avec le minimum vieillesse, ils connaissent bien le problème eux-aussi.
Voilà, la liste morbide des gens vivant sous le seuil de pauvreté est déjà suffisamment longue, à cela s'est donc ajouté celle des travailleurs pauvres.
Tout ceci se passe maintenant aujourd'hui en France, pays soi-disant des droits de l'homme, censé garantir l'égalité, la fraternité et une certaine forme de dignité pour tous.
Alors, oui les travailleurs pauvres vous saluent bien, car ils continuent, malgré tout, à remplir les RER, les routes en se levant chaque matin pour aller bosser en sachant bien que leur condition sociale n'est pas près de changer, qu'elle est même là pour durer, si ce n'est empirer.
Travailler plus pour gagner moins est le véritable slogan du 21ème siècle, et chacun d'entre nous, les 99% le vit chaque jour qui passe pendant que les 1% se gavent sur notre dos en riant de nous, de notre apathie, de notre servitude.
Et quand ces mêmes travailleurs sortent dans les rues, solidaires des chômeurs, des précaires, des pauvres, on les accuse de bloquer le pays, de prendre en otage la masse, de se plaindre d'une condition qui n'est finalement pas si terrible puisque vous le savez:
"De quoi vous plaignez-vous, vous avez du boulot!"
Les travailleurs pauvres sont les esclaves modernes de nos sociétés, ils n'ont pas de chaines, ils ont des dettes; ils n'ont pas de coups de fouet, ils ont des agios.
Ils n'ont pas de boulets, ils ont des crédits.
Alors concrètement, on attend quoi?
Changeons nos modes de pensées, changeons nos systèmes médiocratiques où l'élection n'est qu'un pis-aller vers toujours plus d'exploitation pour gaver les puissants.
Les pouilleux, les Gueux vous saluent bien, vous les Messieurs suffisants nous ignorant littéralement. Mais on est encore là.
Sans nous rien ne se fera.
N'essayons pas, faisons-le.
On veut une vie riche, pas une vie de riche.
YES OUI KAVE!