LE KAVE SE REBIFFE

Bienvenue dans l'antre rebiffeuse branchée sur le courant alternatif de la KAVE.

Ce blog, à vocation citoyenne et collective, se veut participatif et coopératif en s'attelant au grand défrichage de ce monde !

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mercredi 14 décembre 2016

Le Monde Diplo: Kézako?



« Pour bannir l’orgueil, l’envie, la malfaisance, la débauche et des maux plus invétérés encore et plus grands pour la cité, la pauvreté et la richesse, Lycurgue décida ses concitoyens à mettre toutes les terres en commun et à en opérer la redistribution. Ils vivaient ainsi désormais les uns avec les autres, sans exception, sur un pied d’égalité, chacun ayant le même lot de terre, et par conséquent les mêmes moyens d’existence. Ils ne chercheraient la supériorité que dans la vertu, puisqu’il n’y aurait pas d’autres différences ni d’autres inégalités que celles que déterminent le blâme du vice et l’éloge du bien. » Plutarque, Vie de Lycurgue



Les lectures du comptoir de la Kave

Voici un petit coup de projecteur sur une des lectures que j'affectionne:



Journal mensuel fondé en 1954 par Hubert Beuve-Méry, comme supplément au quotidien Le Monde.  
Il est resté dans le giron du Monde pendant longtemps, et le grand quotidien est toujours actionnaire au sein du capital du Diplo.
Cependant, la rédaction du Diplo a toujours été indépendante et est éditée par une société distincte. 
C’est aujourd’hui une filiale indépendante tant en terme de gestion que de rédaction du Groupe Le Monde. 

En 2007, l’édition française tire à une moyenne de 240 000 exemplaires, tandis que le tirage de ses quarante éditions internationales en vingt-six langues s’élève à 2,4 millions d’exemplaires. 
À ce titre, Le Monde diplomatique est le mensuel français dont les articles sont les plus diffusés dans le monde. 

En février 2009, Le Monde diplomatique était publié en 26 langues, dont l'espéranto, à travers 72 éditions internationales, dont 46 imprimées (avec un tirage total de 2,4 millions d’exemplaires) et 26 électroniques, qui couvrent l'essentiel de l'Europe, de l'Amérique du Sud et du monde arabe avec, entre autres, une édition palestinienne. 

En février 2013, 47 éditions internationales en 28 langues. (source Diplo)

En 2015, son évolution est en augmentation de + 13,0 % alors que les chiffres étaient à la baisse depuis plusieurs années.

Le Diplo a failli disparaitre aussi en raison d'un manque d'abonnés, mais a survécu grâce à son immersion sur la toile et cette capacité à être beaucoup lu à l'étranger.
J'ai eu la chance, que dis-je, le privilège d'assister aux cinquante ans du journal en 2004 Porte de Versailles, où le journal avait organisé une grande conférence entrecoupé d'artistes, l'intervention de multiples personnalités du journal et d'ailleurs, et la diffusion de vidéos venant de partout dans le Monde. 
J'ai longtemps été abonné à la version papier, mais avec l'avènement du site internet,  je le lis dorénavant derrière mon écran. 

La Kave les suis aussi sur leur plateforme de réseau social http://zinc.mondediplo.net/ où +Heel Krix a son profil ;)

Le journal a pris une tendance altermondialiste à partir de 1973, sous la direction de Claude Julien et n'en a jamais dérogé depuis. 
Le combat du de la rédaction du Diplo se situe à priori contre le néolibéralisme, l'impérialisme américain, la critique de la société sécuritaire, un regard critique sur l'Histoire telle qu'elle nous est présentée depuis des décennies, la lutte contre les discriminations et les injustices sociales.

Cette ligne éditoriale se consacre à de vastes et divers sujets :
Géopolitique, relations internationales,
l'économie, la crise alimentaire, les fonds souverains.
Les questions sociales comme le droit des femmes, la protection sociale.
L'écologie, la culture avec un grand C, et les merdias médias.

 La ligne éditoriale du Diplo, en raison de son caractère nettement engagé en faveur d'une rupture avec le capitalisme, lui vaut de virulentes désapprobations, ce qui parait logique dans ce monde tel que nous le vivons. 

"Certains détracteurs lui reprochent, par exemple, des positions qualifiées de « propalestiniennes » et d'« antisémites », ou encore des articles jugés favorables à Fidel Castro ou Hugo Chávez. 

Mais à l'inverse, l'américain Edward Herman qualifie Le Monde diplomatique de « média dissident » et le considère comme « probablement le meilleur journal au monde ».
En avril 2016, le Figaro désigne le Monde diplomatique comme étant la matrice idéologique du mouvement de contestation sociale et politique Nuit debout."

(Source Figaro et Wiki, oui je sais il m'arrive de lire des trucs du Figaro, c'est fou non? 
Mais il faut connaitre son ennemi...) 
Voilà, en résumé ce que l'on peut dire sur ce journal, j'y apprécie plusieurs plumes comme Serge Halimi, Olivier Piot, Pierre Rimbert, Anne Cécile Robert et bien d'autres. 
Bien sûr, je ne suis pas systématiquement en accord avec ce qui est écrit, mais ce journal donne toujours de la matière à réflexion, quand bien même il n'arriverait pas à vous convaincre.

En bonus, je vous laisse la copie d'un article signée Anne-Cécile Robert où, dès le titre, vous serez appelés à la cogitation...



Longue vie au Monde Diplomatique!
Yes They Kave!

Bonne lecture.
De l'art d'ignorer le peuple

Par un retournement spectaculaire, dans nos démocraties modernes, ce ne sont plus les électeurs qui choisissent et orientent les élus, ce sont les dirigeants qui jugent les citoyens.
 C’est ainsi que les Britanniques, comme les Français en 2002 (échec de M. Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle) et en 2005 (« non » au référendum sur le traité constitutionnel européen), ont subi une psychanalyse sauvage à la suite du « Brexit » du 23 juin 2016.
On peut avancer, sans craindre de se tromper, qu’une telle opération — réalisée presque entièrement à charge avec orchestration médiatique — n’aurait pas été effectuée si le scrutin avait conclu au maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne.
Le principe d’une consultation populaire sur « un sujet aussi important » n’aurait pas davantage été questionné (1).

On le sait : un principe à géométrie variable n’est pas un principe, c’est un préjugé.
Celui-ci peut être analysé de deux manières : mépris de classe (2) ou haine de la démocratie.
Le premier sentiment dégouline assurément de la bouche du toujours subtil Alain Minc : « Ce référendum n’est pas la victoire des peuples sur les élites, mais des gens peu formés sur les gens éduqués (3).  »
À aucun moment l’idée n’effleure la classe dirigeante que les citoyens rejettent les traités européens non pas parce qu’ils seraient mal informés, mais parce qu’au contraire ils tirent des leçons tout à fait logiques d’une expérience décevante de près de soixante ans.

Le second sentiment dépasse le clivage de classe ; il est philosophique.
C’est la démocratie elle-même qui est contestée au travers des coups portés à deux idées cardinales : d’une part, que « la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics » (article 21, alinéa 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme) ; d’autre part, que tous les membres du corps social sont citoyens et concourent à la formation de la volonté générale, quels que soient leur origine ou leur statut social.
C’est cette philosophie imposée par des siècles de luttes sociales et politiques qui fait aujourd’hui l’objet d’une offensive idéologique de grande ampleur à la faveur des impératifs de la construction européenne.

Ceux qui, comme l’ancien premier ministre Alain Juppé (Les Républicains), estiment que les « conditions » ne sont pas réunies pour un référendum en France sur les questions européennes (4), ou qui, comme le premier ministre socialiste Manuel Valls, qualifient d’« apprentis sorciers » les personnes souhaitant une telle consultation (5), dévoilent leur véritable préoccupation : comme la classe dirigeante n’est pas assurée d’une réponse positive, elle préfère ne pas consulter les électeurs. Ainsi, on gouverne sans le soutien du peuple, au moment même où on organise, traité après traité, des transferts de souveraineté de plus en plus importants à Bruxelles. Parmi les plus déterminants figurent les pouvoirs monétaire et budgétaire.

L’Union européenne agit comme le révélateur d’une délégitimation de la démocratie, également à l’œuvre à l’échelle nationale (6).
Il ne s’agit plus d’une crise, mais d’un changement progressif de régime politique dont les institutions de Bruxelles constituent un laboratoire.
Dans ce système, nommé « gouvernance », le peuple n’est que l’une des sources de l’autorité des pouvoirs publics, en concurrence avec d’autres acteurs : les marchés, les experts, la « société civile ». On connaît le rôle stratégique attribué à l’expertocratie par les rédacteurs des traités communautaires : la Commission, avec ses commissaires « indépendants » choisis pour leurs « compétences », est la « gardienne des traités » en lieu et place des organes politiques comme le Conseil des ministres ou le Parlement.
Si cette clé de voûte des institutions de Bruxelles fait régulièrement l’objet de critiques acerbes, il n’en est pas de même de la « société civile », dont le rôle grandissant contribue pourtant, lui aussi, à contourner la démocratie.

Instrumentalisation de la « société civile »

Entré en vigueur en 2009, l’article 11 du traité de Lisbonne recommande aux institutions européennes d’entretenir « un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile ».
Appelée en renfort pour combler le « déficit démocratique », celle-ci fait l’objet d’une définition très large pouvant se prêter à toutes sortes d’interprétations : acteurs du marché du travail, organisations non gouvernementales (ONG), organisations dites « de base », communautés religieuses (7). On peut donc y trouver des syndicats et des associations très progressistes, mais aussi des lobbys, des groupements patronaux, des cabinets d’experts, voire des sectes, etc.
La « société civile » ne repose en effet sur aucun critère de représentativité ou de légitimité. Protéiforme, elle est aussi le règne de l’inégalité puisque ses acteurs disposent de moyens extrêmement variables, suivant les intérêts qu’ils défendent.

« Depuis le milieu des années 1990, explique la sociologue Hélène Michel, “la société civile” est devenue un acteur à part entière du fonctionnement de l’Union européenne.
Mieux, elle permet désormais de légitimer les institutions qui dialoguent avec elle, les politiques publiques qui la concernent et les agents qui s’en réclament. »
Et elle ajoute : « Pourtant, ni le contenu de “la société civile” ni les formes de sa participation ne semblent stabilisés. Ce qui laisse place à des usages fort différents (8).  »
 La Commission y fait d’ailleurs son marché en fonction de ce qu’elle estime représentatif et pertinent, ce qui lui permet in fine de maîtriser un processus qui la conforte.
Le traité constitutionnel européen n’était-il pas en partie le produit de la consultation de la « société civile » ? Le dialogue instauré avec celle-ci par Bruxelles n’implique cependant aucun partage du pouvoir de décision. Par exemple, la consultation publique menée sur le grand marché transatlantique (en anglais Tafta) de mars à juillet 2014 n’a, de manière significative, pas troublé Bruxelles.

Cette pratique, qui met en avant des valeurs positives, comme l’esprit de dialogue pacifique, trouve des alliés inattendus à droite comme à gauche : associations qui œuvrent à une « Europe des citoyens », mouvements fédéralistes, Forum permanent de la société civile européenne, plates-formes « citoyennes » ou encore Comité européen des associations d’intérêt général.
« Ces militants d’une “Europe plus démocratique”, car “plus proche des citoyens”, note encore Hélène Michel, entraînent derrière eux toute une série d’ONG agissant dans les secteurs sociaux et humanitaires, ainsi que dans les domaines de l’environnement, qui demandent que leur rôle soit véritablement reconnu dans le processus. » Si le mouvement associatif et syndical contribue de manière indispensable au progrès social, le concept de « société civile » transforme le rôle qu’il joue dans les rouages du pouvoir. À l’instar de l’expert dont la décision se substituerait à celle des décideurs publics, la « société civile », tout énigmatique qu’elle soit, devient le porte-parole autoproclamé des citoyens.
Ce fonctionnement accorde une place considérable aux frénétiques de toutes les causes, relayés par les réseaux sociaux et des médias peu regardants, dont la représentativité prétendue est souvent mesurée par sondages (et non par élection). Et le peuple dans tout ça ? Il n’est plus qu’un groupe de pression parmi d’autres.
Dans une Union européenne qui se méfie des bulletins de vote, la partie n’est pas égale.

Loin d’être purement technique, la gouvernance est un concept idéologique tiré de la science administrative anglo-saxonne, notamment américaine, contemporain de l’essor du néolibéralisme. Popularisé sous le terme de « bonne gouvernance », il vise au moins d’État, à l’extension du marché, à la « bonne gestion ».
Les francophones le confondent souvent avec le « bon gouvernement » illustré par la célèbre fresque d’Ambrogio Lorenzetti.
Cette œuvre de 1339, exposée à l’hôtel de ville de Sienne (Italie), valorise la justice et la sagesse exercées sous l’œil du peuple.
On est loin des préoccupations comptables qui obsèdent jusqu’à l’absurde la classe dirigeante actuelle.
Combien de pays du tiers-monde, du Kenya à la Côte d’Ivoire, ont-ils d’ailleurs sombré dans le chaos peu après avoir reçu leur brevet de « bonne gouvernance » de la part des institutions financières internationales ?
On se souvient également de M. Dominique Strauss-Kahn, alors directeur général du Fonds monétaire international, saluant la Tunisie de M. Zine El-Abidine Ben Ali en 2009 par des mots qui laissaient peu entrevoir la révolution de janvier 2011 : « La politique économique adoptée ici est une politique saine et constitue un bon modèle à suivre pour de nombreux pays émergents. »
Économie de marché, gouvernance et « société civile » relèvent du même corpus idéologique postdémocratique.

La marginalisation de la souveraineté populaire par la gouvernance explique la facilité avec laquelle les dirigeants européens, et notamment français, contournent le verdict des urnes : leur légitimité ne viendrait qu’en partie des électeurs.
Cela peut expliquer la stupeur provoquée par le comportement du Royaume-Uni, qui, non content de consulter son peuple, envisage de respecter sa volonté…

La crise de confiance qui affecte l’Union européenne, voire le rejet grandissant dont elle est l’objet, pourrait-elle trouver une solution dans l’avènement d’un « peuple européen » qui élirait ses représentants dans les institutions de Bruxelles ?
Alors ministre français de l’économie, M. Emmanuel Macron a ainsi proposé d’organiser un référendum européen ; la députée écologiste Eva Joly a quant à elle suggéré d’élire une Constituante européenne. C’était déjà l’ambition des socialistes Oskar Lafontaine (Allemagne) et Jean-Luc Mélenchon (France) en 2006.
Mais de tels projets supposent résolue la question préalable : les peuples nationaux acceptent-ils leur propre dissolution dans un ensemble plus grand ?
Existe-t-il une « communauté politique européenne » reconnue comme telle par les habitants de l’Union, qui leur ferait accepter le verdict d’institutions communes gouvernées par le principe majoritaire ?
Les résultats des derniers référendums (« Brexit » au Royaume-Uni, rejet par les Pays-Bas de l’accord d’association avec l’Ukraine) laissent penser que l’État-nation demeure, pour la plupart des peuples du Vieux Continent, le cadre légitime de la démocratie.
Symbole, passé relativement inaperçu, de ce hiatus : le 19 janvier 2006, le Parlement européen avait voté une résolution demandant qu’on trouve un moyen de contourner les référendums français et néerlandais sur le traité constitutionnel européen…

En prenant de front la souveraineté populaire, la gouvernance reformule la question démocratique telle qu’elle a émergé avec les Lumières au XVIIIe siècle. Les classes dirigeantes, de nouveau habituées à gouverner entre elles, confondent de manière symptomatique « populisme » et démagogie. L’attention portée aux revendications populaires est perçue comme du clientélisme primaire, quand la défense débridée des intérêts dominants est présentée comme le nec plus ultra de la modernité.
On peut raisonnablement penser qu’un contrôle plus étroit des peuples sur leurs gouvernements mènerait à des politiques tout autres que celles d’aujourd’hui. C’est pourquoi, comme en 1789, la démocratie, malgré ses imperfections, demeure une revendication proprement révolutionnaire, en France comme dans de nombreux pays de l’Union européenne corsetés par la gouvernance. Considérer que le rétablissement de la primauté de la démocratie conduirait à des formes nouvelles de tyrannie et de démagogie revient à prêter aux citoyens des desseins plus noirs que ceux qui animent le personnel dirigeant et son mépris de classe.

Ces explosions qui viennent

La démocratie a toujours fait l’objet de débats politiques passionnés, la gauche accusant souvent ce régime « bourgeois » de nier la violence des rapports sociaux par le jeu d’une égalité théorique des citoyens.
Il n’en demeure pas moins que le passage de la souveraineté du roi à la nation était considéré, y compris par Karl Marx lui-même, comme allant dans le sens de l’histoire ; le clivage droite-gauche trouve d’ailleurs une de ses sources dans la Révolution française : venaient s’asseoir à gauche du président de séance ceux qui remettaient en cause la monarchie.
Plus tard, les mouvements issus de la critique du capitalisme intégrèrent, en France du moins, la défense des droits politiques acquis après 1789, tout en exigeant les mesures nécessaires à la concrétisation de l’idée démocratique : éducation, droits sociaux, libertés syndicales et ouvrières…
C’est le sens du combat républicain mené par le socialiste Jean Jaurès pour l’école publique, la laïcité ou l’impôt sur le revenu. Ce qui ne l’empêchait pas, en marxiste assumé, de lutter pour l’instauration d’un autre système économique : le socialisme.

Dans l’Europe de ce début de millénaire, ce n’est pas le « peuple de gauche » qui se réveille, c’est le peuple tout court. C’est pourquoi le « non » était largement majoritaire en 2005 (référendum sur le traité constitutionnel européen), mais la gauche très minoritaire en 2007 (élection présidentielle). Ce n’est pas seulement la crise sociale, l’explosion des inégalités et des injustices qui aujourd’hui « soulèvent le goudron », mais tout autant les reculs de la souveraineté populaire qui les ont rendues possibles.

Anne-Cécile Robert