"Un autre monde est possible ? Non un autre monde est obligatoire."
Les Kaves se rebiffent et on est presque de bonne humeur.
Note de la Kave :
Ce témoignage de Heel Krix est un mélange d'un post paru en début de semaine sur les réseaux sociaux (et non sur le blog) et d'une réécriture au comptoir kaviste pour le publier plus lisible à vos yeux et ainsi mieux rendre compte du ressenti de cette journée de mobilisation.
Retour sur le samedi 1er décembre, manifestation des gilets jaunes à Paris :
Reflexion Post traumatique
Ce matin lundi 3 décembre
2018, je suis dans une sorte de reflexion post traumatique, je pense à
mes enfants et au monde qui nous attend, c'est pour eux que je me bats
et pour tous ceux qui étaient là dans les rues samedi, le reste n'a plus
d'importance ou plutôt si il en a mais ce n'est pas le sujet de ce billet.
La liberté de circuler dans nos rues devient un privilège.
Le droit de manifester est clairement bafoué.
La liberté d'expression est en souffrance.
Comprendre pour mieux agir, comprendre pour mieux mesurer l'impact que peut avoir un jour comme celui-ci sur une petite vie de lambda. D'abord le choc. Traumatisé. Psychologiquement et physiquement. c'est la première sensation qui vient au lendemain d'une expérience pareille. Même pour un activiste aguerri dans de diverses manifestations comme je le suis, celle-ci fût en tout point incomparable aux autres. Imaginez alors pour les gens qui venaient sur Paris manifester pour la 1ere fois. Cependant, le traumatisme n'empêche pas de passer à la réflexion, et tenter avec ce récit de digérer le vécu de cette journée peut être un bon exutoire.
J'encourage d'ailleurs tous les rebiffeur(se)s à mettre sur papier les témoignages de leur manif où qu'elle se soit passée en france et à nous les transmettre au comptoir pour faire un retour d'expérience qui serait à n'en pas douter intéressant.
Ceci était donc (comme annoncé) le gilet que je portais samedi.
On va rentrer dans le dur immédiatement, ce fût une journée pénible, vous l'aurez compris.
Je crois que je n'ai pas assez de mots pour décrire ce qu'on a vu, vécu, enduré durant cette journée. Je n'ai (peut-être) pas assez de mots pour décrire la journée à laquelle j'ai assisté.
Dans les rues de Paris, vous pouviez voir trois ou quatre mondes différents se croiser, s'entrecroiser. Les manifestants, les flics, les gens faisant leurs courses de noel comme si de rien n'était, et les pauvres misérables enfouis sous leurs duvets dormant dans la rue.
Les inégalités perdurent, même en plein mouvement social, tout un symbôle.
Nous avons vécu une guerilla urbaine samedi certes, et c'est totalement traumatisant pour quelqu'un comme moi père de deux enfants frisant la cinquantaine et pour des milliers d'autres aussi, tous venus dans un esprit revendicatif mais pacifiste.
Partout où nous sommes allés, une marée humaine, un assemblage de scènes où se mêlaient colère, revendications, ambiance festive, discussions et débats animés, barricades, épaisse couche de fumée permanente, négociations avec la police (plus ou moins) rassemblements jaunes impromptus d'un point à un autre avec en toile de fond le décor de la ville de Paris .
Bastille, Rivoli, les champs, Opéra, le Louvre, la Madeleine, les Tuileries, la Concorde et ailleurs ont été le théâtre à ciel ouvert d'une gigantesque protestation. Celle-ci résonne et raisonne dans tout le pays. En ce jour de mobilisation, nous ne souhaitions que pouvoir s'exprimer et être entendus en tant que citoyens ordinaires ayant voix au chapitre qu'on le veuille ou non.
Nous ne faisions pas partie de ceux qui voulaient tout casser ou qui, tout simplement, se sont laissés entrainés par le chaos ambiant en se mettant à détruire. Il n'était pas question de se laisser happés par la spirale de la violence et nous avons gardé notre ligne de conduite en tant que citoyens libres, non violent et déterminés à faire respecter nos droits. Nous n'avons causé aucun tort à autrui, nous avons jeté nos déchets dans les poubelles, nous n'avons violenté personne, nous n'avons cassé aucun mobilier urbain, nous n'avons gazé personne, nous avons payé notre titre de transport, nous avons crié fort notre désaccord, nous nous sommes indignés de manière virulente mais correcte.
Nous ne faisions pas partie de cette folie de destruction engendrée par les uns et les autres de tous côtés. Nous étions des milliers de manifestants pacifistes, je le répète au cas où.
Mais pourtant cela n'a pas empêché que nous nous fassions agressés délibérément, méthodiquement par les forces de police. On nous a agressé, violenté, humilié, contrôlé, tiré des grenades lacrymos dans les jambes (10000 grenades lacrymos balancées dans Paris), recus des grenades assourdissantes, chargé dans des petites rues où j'ai eu clairement peur pour ma vie.
On a vu les canons à eau, on a vu les barrages boucliers "filtrants", on a vu des policiers déguisés en gilets jaunes, on a vu aussi des hommes au fameux brassard orange armés lourdement, patibulaire mais presque.
Ah le charme de la police parisienne au détour d'une rue au petit matin...
Mais on a surtout vu le peuple, des hommes, des femmes, des mineurs, des handicapés, des retraités beaucoup de retraités se faire molester et brutaliser.
Samedi je n'ai pas vu une police républicaine, samedi j'ai vu une milice d'état.
Coincé dans le quartier de la rue de la Boétie dans une petite rue, je me suis retrouvé séparé de mon vieux compagnon et en l'espace de quelques minutes, une escouade qui faisait des contrôles d'identité et du barrage filtrant s'est transformée en chiens de guerre sur un simple ordre craché du talkie-walkie avec le renfort qui allait bien. La charge fût soudaine et violente sur des manifestants n'ayant que le tort de crier Macron démission avec un drapeau arc en ciel au milieu, une sacré bande de voyous en effet !
L'escadron s'approchant, je me suis mis à reculer face à eux pour tenter de voir leurs yeux, et j'ai compris que notre journée allait se transformer en cauchemar, il était 11h du matin, nous étions arrivés depuis 9h30 sur Paris.
L'escadron s'approchant, je me suis mis à reculer face à eux pour tenter de voir leurs yeux, et j'ai compris que notre journée allait se transformer en cauchemar, il était 11h du matin, nous étions arrivés depuis 9h30 sur Paris.
Vous avez toujours voulu savoir ce que vivait un Zadiste à Notre Dame des landes ?
Alors voilà à quoi ça peut ressembler, en quelques secondes, j'ai vu ce crs me (nous) mettre en joue avec son fusil à grenades, je me suis mis à courir comme un dingue en zigzaguant, mais il a shooté au niveau des jambes et je me suis effondré, tombant lourdement sur le dos. Heureusement on m'a relevé d'autorité (je n'ai pu voir qui) et je suis reparti en courant comme un dératé juste avant que les flics ne reprenne la rue.
Arrivé avenue Roosevelt, j'étais en larmes, les yeux brulés par le lacrymo, le dos qui commençait à couiner suite à la chute et j'ai pleuré pendant une demi heure, et en réalité nous sommes lundi et je pleure encore de rage, de désabusement, de colère, d'incompréhension.
Voilà où on en est arrivé.
Nous sommes des zadistes comme les autres.
J'avais déjà vécu à plusieurs reprises les méthodes et les démonstrations de force de la Police en manifestation, mais jamais d'une telle ampleur, jamais d'une telle magnitude.
Paris est une brume... de vapeurs lacrymogènes.
L'après midi, nous l'avons passé aux Tuileries dans un décor d'apocalypse surréaliste.
Les mêmes scènes d'affrontements en tête de cortège et des millliers de gens bloqués derrière.
Je le répète à nouveau, je ne cautionne en aucun cas les casseurs, mais je ne cautionne en aucun cas la police non plus, surtout après avoir vu les "méthodes" employées par celle-ci sur les manifestants pacifiques, pourquoi avoir tiré des grenades sur les manifestants derrière "la ligne de front" ? N'était-ce pas de la pure provocation pour chauffer encore plus les esprits ?
Cela n'est pas acceptable. cela n'est pas tolérable aujourd'hui en France au 21ème siècle.
Tout cela aurait pu m'écoeuré, pourtant jamais je n'ai eu autant envie de continuer.
Oui continuer, car c'est aussi grâce à ce que j'ai vécu humainement parlant durant ces heures de présence au coeur de la manifestation parisienne que ma détermination ne cessera plus.
En cette rude journée, j'ai été interpellé à multiples reprises par des gens anonymes gilets jaunes ou pas, dans la rue, dans le métro et ailleurs à cause ou grâce aux inscriptions écrites sur mon #GiletArcEnCiel, et toujours de manière bienveillante.
Nous avons eu des rapports humains formidables tout au long de la journée malgré ce chaos.
La bienveillance et l'entraide se baladaient avec nous et elles sont des compagnes fort agréables.
Je pense à ce commerçant qui a ouvert sa porte à des gens gazés et leur a prêté assistance.
Je pense à un gars de Nimes et une femme de Carcassonne croisés le matin venus spécialement pour représenter à Paris leurs régions qui ont été les premiers avec qui nous avons échangé le matin en arrivant sur la capitale.
Je pense à Laurent ce seine et marnais qui connaissait Paris comme sa poche avec qui on a longtemps navigué dans la capitale avant de se perdre aux tuileries.
Je pense à Fabrice, perpignanais permaculteur monté à Paris pour participer au mouvement et qui arpentait la manif en rollers, rien que ça, nous avons partagé avec lui un moment étrange et convivial de partage assis sur des chaises dans le parc des tuileries, alors que les gaz commençaient à envahir le jardin (et le marché de noel et les manèges...).
Je pense à ces normands avec qui j'ai fait un bout de chemin à Opéra dans la bonne humeur.
Je pense à mes larmes versées le long de la rue de Rivoli pendant que les grenades assourdissantes tonnaient et d'une dame âgée me réconfortant en disant :
"il ne faut rien lâcher, continuez"
Je pense à ces jeunes venus de Gap et des alpes de haute provence en voiture découvrant Paris pour la première fois et pourtant là d'abord pour faire entendre leurs convictions.
Je pense à ces retraités grenoblois avec qui j'ai échangé entre opéra et la madeleine et qui ont marché sans rechigner pendant des kilomètres.
Je pense à ces deux étudiants aux Tuileries m'expliquant qu'il aurait fallu que... Coluche soit présent à cette manifestation, incroyable échange entre générations, moi ayant vécu l'époque de l'agitateur clown au grand coeur et eux continuant à véhiculer les idées d'un homme qui représente un autre temps pour ces jeunes.
Je pense à cette sage femme dans le métro avec son fils handicapé qui l'emmenait voir le spectacle de Tchoupi et qui m'a réchauffé le cœur le temps d'un dialogue dans un moment où j'étais au bord de la crise de nerfs.
Je pense à un retraité parisien pur jus, place de la République, indigné mais fier de voir tous les provinciaux venir "prendre" la capitale.
Je pense aux cégétistes sur la même place avec qui j'ai parlé longuement pour sur le principe de l'entente entre les gilets jaunes et les syndicats, une discussion ouverte et franche.
Je pense aussi aux blessés que l'on croisait, je pense aux pompiers qui travaillaient au milieu de de ce bordel. Je pense à tous ces gens venus de partout et d'ailleurs. Je leur rends hommage à tous.
Je pense à tout ce maelstrom de sentiments et d'émotions qui m'a envahi ce jour-là.
Même dans les instants les plus tendus, solidarité et fraternité n'ont pas été de vains mots ce samedi-là et n'ont jamais fait défaut pour notre part.
Tout cela ne me quittera plus jamais.
Franchement maintenant on se rebiffe un peu là ?
Comment peut-on aussi ignorer toutes les revendications et propositions dites en vrac de manière bordélique peut-être, mais bien présentes et prégnantes comme le référendum d'initiative citoyenne réclamé à corps et à cris ?
Tiens, ça interpelle pas plus les pouvoirs publics d'avoir tous ces gens, ces parents, ces grand-parents, ces jeunes, ces hommes, ces femmes de (presque) toutes conditions sociales, de tous âges faire l'effort de venir manifester un samedi de décembre sous le froid et la pluie pour exprimer leur mal-être, leur amertume, leur colère?
N'est-ce pas le signe d'une fierté retrouvée qui témoigne d'une détermination sur la durée ?
N'est-ce pas là un moindre signe que cette lutte ne s'arrêtera pas avec les miettes de poudre de perlimpinpin lancées au peuple cette semaine par le gouvernement ?
Après le gazage, l'enfumage. Diable c'est pas fini puisque on est lundi, et ils vont aussi voter le gel des retraites, vous y croyez à ça ?
Vous remarquerez aussi dans le langage de nos élites et nos médias que nous sommes une "crise à gérer", non, nous sommes des êtres humains dénonçant les injustices et les inégalités de ce pays, nous ne sommes pas une crise, nous sommes l'énième symptome et d'autres arrivent à grand pas...
Les préavis de grève tombent les uns après les autres cette semaine, les mouvements s'enchainent, les lycéens, les étudiants, les syndicats, les blocages continuent, les manifestations s'amplifient, les boycotts se multiplient, la convergence des luttes se rapproche, même timidement. Un arc en ciel de contestation se projète dans les jours à venir. Soyons dignes de cet arc en ciel, luttons en nombre pacifiquement mais résolument, et faisons en sorte que les futures manifestations de ce mois ne ressemblent en rien à celle de ce 1er décembre 2018. Que ceux qui prônent la violence restent chez eux, il faut continuer cet élan en faisant preuve d'intelligence collective, et non pas comme des furieux avides d'en découdre. Ce n'est pas la guerre que nous désirons, c'est s'installer aux tables de négociations pour revendiquer d'urgence nos droits et délivrer nos doléances. Mais si le dialogue de sourds reste en l'état, on risque de transformer une révolte pacifique légitime en révolution violente inévitable. Ceci n'est dans l'intérêt de personne, il faut que des discussions commencent durant ce mois de décembre, il en va de notre responsabilité et de la leur bien évidemment.
Je ne pourrais jamais me résoudre à des appels ou des démonstrations de violence dans un moment si crucial de l'Histoire, nous devons continuer la mobilisation fermement mais ne basculons-pas dans les travers malsains de l'être humain. Voyez-vous, même après une journée pareilles, on s'accroche à l'idée que se rebiffer, ce n'est pas démonter la gueule à son prochain ni se la faire casser non plus par la même occasion. Surtout qu'il faudra se rebiffer subtilement quand on voit déjà les tentatives de récupération des politiques, ou la volonté de faire passer cette révolte spontanée pour un truc d'ultra droite ou d'ultra gauche.
Je ne pourrais jamais me résoudre à des appels ou des démonstrations de violence dans un moment si crucial de l'Histoire, nous devons continuer la mobilisation fermement mais ne basculons-pas dans les travers malsains de l'être humain. Voyez-vous, même après une journée pareilles, on s'accroche à l'idée que se rebiffer, ce n'est pas démonter la gueule à son prochain ni se la faire casser non plus par la même occasion. Surtout qu'il faudra se rebiffer subtilement quand on voit déjà les tentatives de récupération des politiques, ou la volonté de faire passer cette révolte spontanée pour un truc d'ultra droite ou d'ultra gauche.
Finissons presque par une question, il parait qu'il y aurait entre 70 et 80% de français qui soutiendraient ce mouvement selon les chiffres du ministère de l'intérieur (...).
Où êtes-vous ces 80% ?
On a besoin de vous comme jamais.
Ce qui se déroule en cet hiver nous concernent tous ou tout du moins l'écrasante majorité.
Ce qui se déroule en cet hiver nous concernent tous ou tout du moins l'écrasante majorité.
Samedi 8 décembre, manifestation des gilets jaunes, marche pour le climat, vous aurez le choix.
Les deux ne s'opposent pas, ils se complètent, ils s'unissent.
Les deux ne s'opposent pas, ils se complètent, ils s'unissent.
Les Kaves se rebiffent seront à la marche pour le climat cette fois-là comme nous étions à la dernière et comme nous serons à la prochaine.
Continuons.
Les Kaves se rebiffent et on est presque de bonne humeur.
YES OUI KAVE !