"Le Dernier qui s'en va éteint la lumière" Paul Jorion
Michel-Pierre Colin est de retour au comptoir pour nous présenter un livre de Paul Jorion.
Travailler moins pour lire plus, voilà un programme qui nous plait bien à la Kave.
Lire des livres, lire délivre.
Les liens de l'auteur:
Le dernier qui s’en va éteint la lumière
Ce dernier livre de Paul Jorion est avant tout un essai philosophique dépeignant les fondamentaux de l’humanité : comment elle s’est développée, surtout aux XIXème et XXème siècles, saccageant la planète et la polluant totalement, épuisant les matériaux et l’énergie qu’elle contient jusqu’à mettre en péril la survie de l’espèce humaine.
C’est certainement la compilation de plus de 400 études scientifiques réalisée par Pablo Servigne et Raphaël Stevens, dans tous les domaines de l’activité humaine parue au Seuil sous le titre Comment tout peut s’effondrer, qui a incité Paul Jorion à écrire Le dernier qui s’en va éteint la lumière.
Après avoir rappelé les limites physiques et intellectuelles de l’Homme, Paul Jorion pose la question des moyens dont dispose l’humanité pour empêcher son extinction. Notre existence étant limitée par la mort, les religions nous ont inventé ce qui se passe après la mort. Pour lui, les religions ont joué un rôle démobilisateur majeur vis-à-vis de la lutte contre l’éventuelle extinction du genre humain. Car,
…focaliser son attention sur cette chimère qu’est la vie après la mort dans un ailleurs inévitablement présenté comme un paradis par rapport au monde où nous vivons distrait de la tâche d’améliorer celui-ci, ou du moins de le rendre ou de le garder viable (p.185).
L’espérance d’une vie au-delà de la mort contribue à cette démobilisation générale. Car l’espérance fabrique ainsi un lieu où l’on se rendra après la mort, où justice sera enfin rendue, où les choses s’arrangeront une fois pour toutes, sans qu’il n’y ait la moindre preuve en faveur de cette croyance. L’espérance est démobilisante et favorise l’extinction de l’humanité.
Paul Jorion passe en revue les notions de bonheur, héroïsme, beauté, sainteté sagesse. Et sur l’éducation des enfants, il préconise de leur dire :
Tu vas peut-être vivre 80 ou 100 ans, et ces quelques dizaines d’années ne sont rien si l’on songe que les dinosaures ont vécu pendant 160 millions d’années et ont disparu il y a 60 millions d’années déjà. Mais si tu fais tout ce que tu as envie de faire […] tu auras bientôt le sentiment que ta naissance se perd dans la nuit des temps, que tu as vécu infiniment […] Parce que l’occasion ne te sera jamais donnée après ta mort de jeter un regard en arrière […] Tout ce qu’il t’est loisible de faire, c’est de te dire au moment de mourir : ‘’j’ai tiré de ce qui m’a été donné tout ce qui était possible’’ et de quitter ainsi le monde joyeusement (p.202-203).
Les assemblées représentatives du peuple, parlement et sénat, défendent les intérêts d’une minorité identifiée au milieu des affaires dont les intérêts sont opposés à changer quoi que ce soit. Dans la poursuite de leur addiction à l’argent, ce que la bible appelle le Veau d’Or, ils sont insensibles au précipice qui est droit devant nous et qui signifie la fin de l’espèce. C’est la forme des institutions qui s’est ossifiée et a cessé d’être adaptée au moment présent.
Paul Jorion affirme qu’avec la sortie du film Interstellar débute le travail de deuil de l’Homme à propos de son espèce. Le mieux encore pour nous aurait été de ne pas naître, mais une fois jetés dans le monde par la naissance, nous sommes équipés pour prendre en main le monde tel qu’il est.
Paul Jorion se demande si l’extinction de notre espèce ne constitue pas en réalité un progrès dans la réalisation de l’esprit du monde, et ce serait alors la machine intelligente qui constituerait l’étape ultérieure de la Raison dans l’Histoire, en tant que notre prolongement après que nous aurons disparu. La mission de l’homme serait-elle de faire advenir la machine intelligente ? En réalité cette idée dans l’esprit de Paul Jorion, revient à une autre forme d’espérance de survie de (notre ?) l’esprit après l’extinction de notre espèce.
Personnellement je pense que si, comme le dit Paul Jorion, l’espérance est démobilisatrice pour lutter contre notre extinction, il faudrait éviter, dans ce cas, de faire advenir la machine intelligente ! Et plus probablement, toute forme différente d’intelligence qui adviendrait sur la planète après l’extinction humaine – en supposant qu’elle découvre nos traces archéologiques – devrait ne pas s’intéresser à l’intelligence humaine plus que nous-mêmes nous intéressons à l’intelligence des dinosaures ! Ceci dépend quand même de la grandeur du fossé entre leur niveau d’intelligence et le nôtre.
Par Michel-Pierre COLIN