"De l'adolescence à l'âge de la retraite, les cycles de vingt-quatre heures font succéder leur uniforme émiettement de vitre brisée : fêlure du rythme figé, fêlure du temps -qui-est-de-l'argent, fêlure de la soumission aux chefs, fêlure de l'ennui, fêlure de la fatigue. De la force vive déchiquetée brutalement à la déchirure béante de la vieillesse, la vie craque de partout sous les coups du travail forcé. Jamais une civilisation n'atteignit à un tel mépris de la vie ; noyé dans le dégoût, jamais une génération n'éprouva à ce point le goût enragé de vivre. Ceux qu'on assassine lentement dans les abattoirs mécanisés du travail, les voici qui discutent, chantent, boivent, dansent, baisent, tiennent la rue, prennent les armes, inventent une poésie nouvelle. Déjà se constitue le front contre le travail forcé, déjà les gestes de refus modèlent la conscience future. Tout appel à la productivité est, dans les conditions voulues par le capitalisme et l'économie soviétisée, un appel à l'esclavage."
Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem